La stratégie de l’échec

Il n’est pas évident de comprendre pour un autre que moi pourquoi je peux être aussi affecté suite a l’abandon sur un IronMan. Et même pour moi ce n’est pas si facile. J’ai beau savoir que ce n’est qu’une course. Que de l’amusement. Pas grand chose d’autre que quelques heures passées sur la route. Rien de grave en soi. L’abandon prend des proportions assez stupéfiantes, tout comme l’accomplissement d’ailleurs

Il se passe quoi dans ma tète suite a un abandon sur un IronMan ? Pourquoi est-ce si difficile de tourner la page ? Est-ce seulement possible de tourner la page ? Cela fait quelques mois maintenant que je cherche a comprendre pourquoi c’est si douloureux. Pourquoi malgré les discours flatteurs et rassurants qui sont pragmatiquement justes je ne peux pas m’empêcher d’avoir les larmes aux yeux quand j’évoque mon abandon récent au Bearman. Petit plongeon dans l’arrière boutique.

L’échec, c’est pas si grave

Sur le principe, oui. L’échec est même nécessaire. Echouer c’est heurter sa limite et la préparation sur de l’ultra fond c’est justement de pouvoir sans cesse repousser ses limites, physiques et mentales. Et c’est d’ailleurs toute la beauté, a mon sens, de ce type d’épreuve. Aller chercher plus loin, plus dur, faire ce que je n’ai encore jamais fait. Donc oui il faut accepter l’échec, il faut même s’en servir. Pourquoi j’ai échoué ? Comment je peux passer ce nouveau seuil ? Autant de questions a résoudre.

Sauf que un des pans de la préparation c’est de se convaincre que l’abandon le jour de la course n’est pas possible. Il y a un grand nombres de moments pendant une épreuve d’ultra-fond ou je me pose la question de continuer ou pas.

La solution de facilité sur un triathlon est a portée de main. Contrairement a un ultra-trail par exemple ou le parcours va d’un point A a un point B, en triathlon on revient toujours au parc a vélo. Dans certaines courses, le parcours fait même des boucles et il peut être très facile de décider de ne pas repartir. Il faut avoir la foi pour repartir pour 42Km de course quand on a déjà 14 ou 15 heures d’efforts derrière soi.

Il faut donc se préparer a refuser cette facilité, et pour moi cela passe par me convaincre que l’abandon ne peut pas être une option. Avec l’expérience, j’arrive en étudiant le parcours a anticiper les endroits, les moments ou je vais potentiellement douter. Mais cela se base sur la difficulté connue a l’avance. Je ne peut pas anticiper les impacts des variables environnementales (météo, panne matériel, blessures…). Donc pendant des mois, j’étudie le parcours, ses difficultés essaie de calquer mon niveau d’effort par rapport a mon ressenti pendant les entrainements. Essayer de comprendre les mécanismes qui peuvent amener au renoncement (lassitude du parcours, faim, retard..) pour me préparer a les contrer pendant la course. A chaque possibilité il doit y avoir une réponse disponible. Une réponse qui doit forcement aboutir a « j’abandonnerais pas ».

Et plus le parcours est annoncé comme compliqué, plus cette construction mentale doit être forte. Pendant la course ce sont comme des vagues qui, les unes après les autres, viennent user le mental. Comme pour le physique il faut se donner les moyens d’en récupérer un peu de temps en temps. Me rattacher a des petites victoires me permet de me regonfler un peu. Un col passé, une borne kilométrique atteinte, doubler quelqu’un que je suis depuis longtemps, les petites périodes d’euphorie que l’on a à certains moments, un rayon de soleil, un encouragement…Mais globalement le mental, comme le physique va fonctionner comme la batterie d’un portable que je rechargerai 1 mn toutes les heures. je peux prolonger un peu l’utilisation mais quand il n’y a plus rien c’est foutu.

La décision

La décision d’abandonner est donc simple. Quand je suis, comme sur le Bearman a bout, fatigué d’ajouter a l’effort physique collossal, les déceptions horaires, la météo, les ennuis mécanique, la solitude. De constater que je n’ai pas assez bien préparé cette course. Que j’ai mal calculé les temps de passages, mal préparé le matériel, mal étudié le parcours. Le mental ne va plus et n’est plus capable de pallier a la fatigue.

Donc a ce moment la décision est logique, je suis épuisé physiquement et je n’ai plus envie de continuer la course, j’arrête. Apres tout ce n’est pas grave. Ce n’est qu’une course. Et puis je pourrais toujours me cacher derrière la difficulté pour justifier mon abandon. Voila c’est fait. J’ai rendu mon dossard et ma puce. J’entends la parole toujours réconfortante de la personne a qui je les rends qui m’explique que ce n’est pas grave et que c’est déjà bien d’en avoir fait autant. Je commence a ranger mes affaires en regardant autour de moi ceux qui continuent. Sont-ils vraiment physiquement plus résistants que moi ? Ils sont pour certains, plus rapides, plus affutés. Pour d’autres c’est moins flagrant. Mais alors qu’est ce qui fait la différence ?

Assumer

C’est la, a ce moment, dans le parc a vélo, en train de ranger mes affaires que ca commence. Je me suis préparé pendant des mois. Je me suis convaincu que l’abandon n’etait pas une option. Je me suis convaincu que j’etais assez fort pour terminer cette course. Assez intelligent pour tout prévoir. J’ai eu ce but pendant des semaines, partagé ma volonté de finir, révé ce moment ou je pourrais passer la ligne d’arrivée presque comme un héros. Immaginé comment je pourrais fanfarroner d’avoir terminé. J’ai meme déja planifié ma prochaine course de dans deux ans. A aucun moment je n’avais immaginé devoir expliquer (presque justifier) pourquoi j’ai du abandonner.

Mais pourtant lui a coté, il n’a pas l’air plus fort que moi. Non ce n’est pas lui qui est plus fort que moi, c’est moi qui suis moins fort que lui. Moi qui suis moins intelligent de ne pas avoir même pensé a des affaires de rechange. A ne pas avoir anticipé ce qui s’est passé sur cette course. La chute est lourde (comme moi) et rapide (pas comme moi). Il y a encore quelques heures je me sentais fort, inarrêtable, fier d’avoir réfléchi a tant de choses pour préparer cette course. Et maintenant je suis la sur ma chaise, a ranger du matériel qui ne m’a pas servi, a me demander ce que je vais faire de mon sandwich en trop et de toutes mes barres et compotes. J’ai l’air fin, j’ai à manger pour 3 Iron Man et je ne suis même pas capable d’en finir un. J’ai dix compotes étalées par terre, mais je n’ai pas de quoi changer mes chaussures ni mes chaussettes trempées. Quel con !

Et puis je sors du parc a vélo pour retrouver mes accompagnateurs. J’ai la tète en vrac. Il n’y a rien qui va. Je vois bien qu’ils essaient de me réconforter, mais débordé par la déception j’ai l’impression d’être jugé. On me demande pourquoi et comment. Je n’en sais rien. Je sais juste qu’a un moment j’ai craqué. Dans ma tête c’est devenu le bordel « Qu’est ce qu’ils doivent penser de moi ? Que je suis faible ? Quelle déception je leur inflige ? Je leur ai fait faire tout ca pour rien ? Je ne leur ai pas donné ce qu’ils étaient venus chercher. » Et Sandra et les enfants, ca fait un an qu’une partie de notre vie est tournée vers cette course. J’ai essayé de les en protéger mais inconsciemment beaucoup de discussion, d’organisations ont été faites pour cet objectif. Tout ca pour ca ? Je sais que je vais devenir pendant plusieurs semaines « celui qui abandonne ».

Bien sur a froid je sais que je ne fais que refléter ma propre déception. Mais la violence des sentiments négatifs est a la hauteur de l’euphorie de la réussite.

Les jours d’après

Et puis comment accepter l’abandon quand j’ai mis autant d’effort pour apprendre a le détester ? Chez beaucoup de sportifs on parle de la haine de l’échec. Mais ce n’est pas inné. C’est, a mon sens, un travail nécessaire pour progresser. Comment travailler aussi dur en préparation, si ce n’est pas par une volonté implacable de réussir ses défis. Mais le contrecoup c’est celui-là, il faut accepter que j’ai moi-même pris la décision d’aller a l’encontre de tout ce que je me répètes depuis des mois. Et le cerveau n’est pas prêt à ça. Accepter ce que j’ai autant travaillé a rendre impensable.

Les jours passent, un autre phénomène entre en jeu. « Le blues de l’IronMan » (j’ai mis IronMan mais ca marche avec tout). J’ai eu un projet, un objectif, un but pendant des mois. C’est fini. Je fais quoi maintenant ? Déjà difficile quand l’épreuve est réussi, c’est encore plus compliqué quand elle est ratée. Non seulement je n’ai plus d’objectifs, mais est-ce que ca vaut vraiment le coup d’en reprendre de nouveaux si c’est pour ne pas les atteindre.

A froid

Voila, quelques semaines après j’en arrive la. La fatigue a disparue, ne reste que la frustration et je repense. Peut-être que j’aurais pu continuer. J’ai peut-être abandonné pour de mauvaises raisons. J’ai des souvenirs précis des faits (la pluie, les pannes, la montagne) mais j’ai occulté les sensations. et les faits ne parlent pas en ma faveur. Par exemple a Embrun, j’abandonne a cause du froid dans la descente de l’Isoard. Je rend mon dossard rentre dans une voiture pour me réchauffer. J’y reste quelques minutes, emmitouflé dans une couverture. A un moment je vois passer la voiture de mes accompagnateurs. Je reprend le vélo, toujours gelé et je fais la descente pour les rattraper a Briançon. Fallait-il s’arrêter ? J’ai réussi a faire la descente malgré tout. Peut-être que j’ai été lâche d’abandonner finalement ? Peut-être que j’aurais pu continuer ? Ou alors c’est les quelques minutes passées a me réchauffer qui m’ont permis de repartir ? Mais comment j’aurais pu me réchauffer puisque l’assistance est interdite ? Ca tourne dans ma tête dès que j’y repense.

Ce qui me parait de plus en plus évident c’est ma difficulté a encaisser l’imprévu. Sur Nice par exemple tout s’est passé comme prévu, je n’ai jamais été en difficulté. J’ai déroulé le plan, mes allures, impeccable. Limite frustrant de n’avoir eu qu’a profiter du paysage. Mais en cas d’imprévu je commence a turbiner. « Ok il pleut, qu’est-ce-que ca change sur mon programme ? J’ai crevé, j’ai perdu combien de temps ? Je pensais passer ici a tel heure et j’ai une heure de retard, ca donne quoi sur le reste ? » et j’en arrive vite a « La barrière horaire je suis encore bon ? Si j’ai cassé ca est-ce que je peux recasser autre chose ? Il ne me reste plus qu’une chambre a air si je recrève c’est mort ! » J’essaie de me rassurer mais cela me demande beaucoup d’efforts de réenvisager de nouveaux scenarios en fonction de ces nouveaux éléments. Cela rajoute de l’incertitude, et cela renforce les vagues qui viennent me saper le moral. Je n’aime pas l’imprévu. Pour moi tout doit être calculé, anticipé, prévu.

Et cela ne s’arrête pas a ma course. Sur le Bearman, j’ai turbiné de longues minutes quand je n’ai pas pu joindre Ludy pendant la course. Je ne savais pas si ils m’attendaient en bas, si ils allaient manger. J’ai vite compris que je mettrais plus de temps que prévu a faire ma première boucle. Mais du coup ca veut qu’ils vont m’attendre en bas pendant 2h30 sous la pluie alors que j’avais dit 2H. Mais si ils m’attendent est-ce qu’ils pourront encore manger ? J’avais annoncé une fin vers 23H mais je finir bien après minuit. Ils seront encore la ? Et pour ramener le vélo si il n’y a pas les deux voitures ? Encore ces questions tout le temps qui viennent inlassablement m’assaillir

Point faible

Voila pourquoi je ne suis pas assez fort. Mon incapacité a lâcher prise face a l’incertitude. A lâcher prise tout court. Et c’est aussi pour ca que je ne peux pas tourner la page. Aujourd’hui encore Embrun 2015 reste une blessure. J’ai beau être revenu, l’avoir terminé deux ans après, impossible de la refermer. Cette fois-ci je n’ai pas été assez fort. Je n’ai pas su réagir face aux évènements. J’ai pris une décision qui n’était pas correctement motivée. On pourrait penser que c’est presque normal dans des conditions de course « extrêmes ». Non je ne l’accepte pas.

Et cette faiblesse me ronge. Quand mon entourage applaudit et est impressionné par mes pseudos « exploits », je ne pense qu’a mon échec. Exècre ce vélo avec qui j’ai pourtant roulé plus de 10000 Km en un an et tout ce qui peut me ramener a cette course. Et j’attend. Je m’entraine et j’attend. J’attend les prochaines courses pour pouvoir enregistrer une réussite a mon tableau. Je réfléchis et j’attend. Je réfléchis sur ce qui ma manqué, ce que je dois changer. Est-ce que j’étais vraiment prêt physiquement ? surement pas. Mentalement ? Visiblement non plus. Donc il faut se préparer autrement. Je n’étais pas assez fort, je vais devenir plus fort.

Et ensuite

Je ne sais pas encore si je vais refaire le Bearman. J’attend le gout des prochaines courses. Finir des courses plus courtes suffira-t-il a masquer suffisamment le gout de l’échec pour que je m’autorise a tenter une autre épreuve, ou faudra-t-il que je revienne vaincre ce parcours pour m’apaiser. Cette course est particulière parce que insensée. Je savais qu’elle allait être dure, je ne pensais pas a ce point là. Certes le parcours amène la difficulté, mais l’organisation et les conditions environnementales la décuple. Et c’est de la loterie. Si je reviens, est-ce qu’il va encore pleuvoir, ou peut-être la canicule ? Si je change mes jantes j’ai moins de chances de casser un rayon ? Si je change les pneus, moins de chances de crever ? Si je met une tenue vélo au lieu d’une trifonction, je résiste mieux au 10H de vélo ? Faut que je travaille quoi pour être meilleur grimpeur a vélo et a pieds ?…Fais chier encore trop de questions !

One Commentto La stratégie de l’échec

  1. MARIE CHRISTINE SERRES dit :

    Tu arrives à dormir avec toutes ces questions!

    Tu parles de lâcher prise? Qu’elle bonne idée

    Tu sais l’imprévu peut être un ami,il suffit de l’accueillir quelque soit son impact.il peut réserver de très bonnes surprises…

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